De Brzeziński à Lavrov : La Russie d'une défaite à l'autre.

Publié le par Cide

A la veille de Noël 1979, le téléphone privé du Président Carter sonne tardivement en toute urgence et avec insistance. Signe évident de la gravité de la situation, tant qu'il est admis qu'avant de réveiller le Président des États-Unis, le protocole stipule de passer par une demi-douzaine de hauts fonctionnaires américains, dont le moins gradé n 'est autre, excusez du peu, que le Général major qui lui servait d'aide de camps et, accessoirement, porte « biscuits » [1].

Au bout du fil, presque désolé, son jeune Conseiller à la Sécurité nationale Zbigniew Brzeziński le rassure en lui murmurant euphorique que, désormais, l'Union soviétique vient d'avoir, dit-il, «son Vietnam ». C'est que les chars soviétiques viennent de prendre position dans la capitale afghane et leurs commandos ont déposé le Chef d’État afghan qui, trois mois plutôt, s'en est débarrassé de l’allié soviétique par excellence : Mohamed Taraki.

Déçu peut-être par son manque d’enthousiasme, il lui laissera tout de même lendemain sur son bureau ovale la note suivante : «Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam». Question d’être certain que ce Président quelque peu « pacifiste » saisira bien l'occasion historique qui s'offre à lui.

En vérité les deux hommes cachaient déjà un secret bien gardé qu'ils n'évoquaient qu'en tête à tête, à savoir que les Américains quadrillent depuis quelques mois le terrain afghan en alliant secrètement une frange des moudjahidins anti-communistes[2]. Et ce sont en réalité ces derniers qui ont joué l’hameçon qui, par son intermédiaire, l'Union soviétique fut insidieusement poussée à envahir l’Afghanistan.

Bien sur, les condamnations et autres cris d'orfraie d'usage retentirent de sitôt amplifiés par le Conseil de Sécurité et l'Otan tandis que discrètement les stratèges américains exultaient. Exception faite du médiocre cosmos gravitant autour de la Maison Blanche que Brzeziński, en homme de grande intelligence, finira par persuader que la Guerre froide qui vient de s’enflammer en apparence n'est pas seulement terminée en réalité mais surtout gagnée.

Aujourd’hui, en Syrie, la situation ne diffère pas de grande chose. Car bien qu'il est encore vivant, le Président Assad est en fait mort depuis longtemps dans les cœurs et les esprits de la majorité du peuple syrien, ne parlons même pas du reste du monde, notamment arabe et musulman. Les efforts incessants des Russes de le garder en scelle, resteront alors forcement vains.

Autant dire que croire qu'ils peuvent passer en force en Syrie est une vue d'esprit irresponsable et dangereuse. Elle n'arrange en rien en tout cas leur cas en Ukraine et en Crimée, cela si elle ne détourne pas bon nombre de musulmans russes du régime Poutine.

La vérité c'est que la chimérique lecture religieuse que, dès le début du conflit syrien, Sergei Lavrov en a faite sonne désormais telle une sanguinaire croisade orthodoxe contre l'islam et les musulmans. Reclassant ainsi la Russie dans un registre historique conflictuel du quel elle ne se rachètera pas de sitôt.

Puis le paris sur l’hégémonie iranienne dans ce Moyen Orient en perpétuelle métamorphose est à la fois imprudent et quelque peu hasardeux tellement l'opposition à ce projet représente aujourd’hui le seul point de ralliement entre les peuples de la région et leurs régimes, y compris les plus honnis et les plus despotiques d'entre eux.

En fait ces peuples en souffrances n'ont pas tant sacrifié pour changer un régime despotique oppresseur par un autre tyrannique de surcroît à forte coloration impériale-confessionnelle comme l’iranien ou géostratégie-religieuse comme le russe.

Quoi qu'il en soit aujourd’hui du côté du Kremlin beaucoup d’erreurs fatales les unes que les autres ont été commises. Elles varient de l'illégale comme l'annexion de la Crimée ou le dépeçage de l'Ukraine jusqu'à l’existentielle et le géo- stratégique comme son engagement unilatérale en Syrie et sa croisade orthodoxe improvisée. Ce qui contraste avec la légendaire prudence de l'ancien espion Poutine.

En réalité la prédominance de Lavrov dans le système Poutine explique beaucoup de telles avaries dans la navette russe. D'origine arménienne, il est profondément islamophobe et revanchard envers les musulmans de par le monde. C'est donc aveuglée par sa haine démesurée que la Russie navigue à vue et perd pied sur tous les plans : économiques ou politiques.

Ironie de l'histoire, cette Russie, vaincue hier par l'intelligence de ses ennemis, est fortement déstabilisée aujourd’hui une fois encore mais par l’ignorance de ses amis : Lavrov et Assad en tête.

[1]Codes nucléaires.

[2]http://www.geopolintel.fr/article527.html

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article